Témoignages: 2 Erwan
Les Arméniens au Liban et en Syrie : des communautés entre mémoire et
vitalité
par Erwan Kérivel (*)
Dans
le
cadre
d'un
séjour
de
volontariat
humanitaire
au
Liban,
j’ai
pu
me
rendre
compte
de
la
vitalité
des
commu
-
nautés
arméniennes.
C'est
le
témoignage
que
je
voudrais
apporter
ici.
Bien
que
n'étant
pas
arménien,
j'estime
que
le
combat
du
peuple
arménien
pour
la
reconnaissance
du
génocide
dont
il
a
été
victime
doit
être
le
combat
de
tous.
Ce
petit
article
se
veut
être
ma
modeste
contribution
à
ce
combat
en
disant
:
la
mémoire
ne
s'éteint
pas,
les
Arméniens
sont vivants.
Bourj Hammoud : une ville arménienne à l’est de Beyrouth
Trois
fois
déjà
que
je
séjourne
au
Liban
et
à
chaque
voyage
c'est
avec
impatience
que
je
retrouve
les
rues
de
Bourj
Hammoud.
Je
ne
saurais
expliquer
quel
sentiment
exact
m'habite
dès
que
je
traverse
le
petit
pont
au-dessus
du
Nahr
Beyrouth
qui
marque
l'entrée
de
cette
«petite
Arménie»
constituée
des
quartiers Est de la capitale libanaise. Quelque chose comme de la sérénité et de la complicité, un sentiment de « retour à la maison ».
Bourj
Hammoud
a
été
relativement
épargné
par
la
terrible
guerre
civile
qui
a
secoué
le
Liban,
c’est
pourquoi
on
peut
avec
plaisir
se
perdre
dans
une
multitude
de
ruelles
aux
maisons
et
bâtiments
levantins
préservés
des
bombar
-
dements.
Ce
qui
frappe
d’abord
c’est
l’omniprésence
de
la
langue
arménienne.
Non
pas
qu’elle
soit
la
seule
langue
parlée
ici,
j’ai
aussi
entendu
parler
arabe
et
turc,
mais
parce
qu’elle
étale
ses
caractères
sur
la
plupart
des
commerces,
sur
les
étals
de
journaux,
les
plaques
nominatives
des
médecins
et
autres
professions
libérales,
les
affiches
du
Parti
Dachnag,
les
enseignes
scolaires
et
religieuses, les petites annonces, recherches ou offres d’emploi collées à même les murs.
.
Les
jeunes
gens
qui
sortent
des
écoles
en
uniformes
parlent
arménien,
les
anciens
jouant
au
tavloo
ou
égrainant
leur
nbeh
parlent
arménien.
les
jeunes
femmes faisant leur shopping parlent arménien, les épiciers qui sortent leurs bocaux de légumes au vinaigre parlent arménien.
J
’ai
ressenti
cet
usage
de
la
langue
arménienne
comme
un
devoir
de
résistance,
la
volonté
de
dire
«vous
voyez
ils
n’ont
pas
pu
nous
anéantir
complètement»
comme
me
l’a
expliqué
le
docteur
Sebouh
Manjian,
lorsque
après
m’avoir
soigne
une
dent
malade,
nous
nous
sommes
lancés
dans
une
grande
discussion
sur
le
génocide en buvant le café dans son cabinet dentaire.
Le
génocide
et
la
mémoire
sont
omniprésents
en
ce
mois
d'avril
2005.
Le
«metz
yeghérn*
est
dans
chaque
esprit,
chaque
cour.
Une
banderole
immense
a
été
instal
-
lée
au
rond-point
de
Dora
en
arménien
et
en
anglais
pour
le
90
e
anniversaire
du
24
avril.
De
très
nombreux
petits
immeubles
arborent
le
drapeau
arménien
ou
celui
du
parti
Dachnag.
les
commerçants
ont
apposé
sur
leurs
vitrines
des
affiches
commémoratives
ou
le
petit
autocollant
«
Keep
it
clean
»
de
l’Association
étudiante
A.R.F
Zavarian
où
est
représentée
une
poubelle
avec
le
mot
«türkiye».
Moins
ostensibles
mais
tout
aussi
révélateurs
de
cette
mémoire
des
réfugiés
de
Cilicie,
les
noms
de
cer
-
taines
petites
épiceries
comme
la
«Yeni
Marach
»
(Nou
-
velle
Marach)
tenue
par
un
vieux
couple
de
80
ans
où
l’on
trouve
un
des
meilleurs
raki.
La
culture
de
Bourj
Hammoud,
c’est
aussi
un
mélange
des
traditions
artisanales
arméniennes,
bijoux
en
argent
et
en
or,
tzbeh
en
pierres
rares,
en
ambre
ou
en
perles
de
musc
odorantes,
des
spécialités
culinaires
Hasterma,
Kashkaval
et
sujuk,
de
la
musique
des
artistes
locaux
lar
-
gement
diffusée
au
Liban
et
en
Syrie
comme Nune Yes- sayan (ma préférée). Aida Sarkissian, Sarko Berberian ou Paul Baghdadlian.
Mais
c'est
aussi
la
vitalité
de
l’édition
arménienne
du
Liban
comme
la
Maison
d’édition
Chirak,
les
centres
cul
-
turels,
les
bibliothèques
et
librairies.
A
ce
titre
je
ne
peux
que
conseiller
l'excellent
«
J’apprends
l’arménien
»
de
Levon
Torossian
qui
m’a
permis
d’apprendre
rapidement
quelques
expressions
utiles.
Tant
de
sourires
inoubliables après un « menakpamv » ou un « paregam ».
En
tant
que
français
on
est
rapidement
questionné
sur
le
quartier,
la
culture,
la
vie
des
Arméniens
de
France,
la
reconnaissance
du
génocide.
Prévenance
et
gentillesse
sont
prodiguées
simplement,
discrètement
comme
monsieur
Garbis
qui
me
passe
le
même
disque
de
Charles
Aznavour
à
chaque
fois
que
je
vais
manger
son
succulent
(jundou
dans
son
restaurant
Badarig.
Je
comprends
cet
attachement
au
rôle
de
la
France
dans
l’accueil
au
Liban
des
rescapés
du
Génocide
mais
c'est
délicat
pour
moi
qui
n'ai
jamais
été
particulièrement
«fier»
d'être
français.
Disons
que
pour
une
fois
j'éprouve
de
la
fierté
si
dans
l’esprit
des
arméniens
de
Bourj Mammoud «français» signifie « à nos côtés».
La
vitalité
de
la
culture
arménienne
au
Liban
est
rendue
possible
par
le
communautarisme
qui
est
la
base
de
ce
pays
depuis
le
Mandat
Français.
Ainsi,
les
Arméniens
se
sentent
Arméniens
avant
d'être
Libanais.
En
somme
l’anti
-
thèse
de
la
France
où
l’assimilation
est
la
règle
concernant
l'immigration.
Cependant,
le
communautarisme a aussi son revers de la médaille puisque les solidarités commu
-
nautaires et religieuses remplacent l’Etat inexistant.
Ces
racines,
cette
culture
arménienne
vivante
sont
ainsi
victimes
de
l’émigration
de
nombreux
jeunes
gens
vers
l'étranger.
Cela
est
dû
à
la
grave
crise
économique
que
connaît
le
Liban
et
à
l'instabilité
politique
de
la
région:l'incertitude
de
l’avenir
et
lu
montée
des
tensions
commu
-
nautaires
ont
poussé
de
nombreux
arméniens
à
quitter
le
pays.
Les
autorités
religieuses
arméniennes
d’Antélias
estiment
le
nombre
d’Arméniens
au
Liban
à
120
000
aujourd'hui.
Comment
préserver
cet
héritage
culturel
quand
une
partie
de
la
jeunesse.
donc
de
l’avenir
est
obli
-
gée
de
partir
pour
vivre
mieux,
c’est
la
question
aujour
-
d'hui
posée
aux
responsables
politiques
de
la communauté arménienne du Liban.
De
Kassab
à
Alep
des
Arméniens
citoyens
syriens120
à
150
000
Arméniens
vivent
en
Syrie.
Contrairement
au
Liban,
le
communautarisme
n'existe
pas
dans
ce
pays
dirigé
par
le
Parti
Baas.
les
Arméniens
que
j'y
ai
rencontrés
se
considèrent
comme
des
citoyens
syriens
d'origine
arménienne.
Alep
est
la
ville
de
Syrie
où
les
Arméniens
sont
les
plus
nombreux,
d'autres
villes
telles
Lattakieh
ont
une
communauté
arménienne
importante.
Les
Arméniens
d'Alep
comme
ceux
de
Deir
es-Zor
sont
les
rescapés et descendants des déportations et massacres qui ont eu lieu dans ces deux villes.
Je
n’ai
pas
pu
me
rendre
à
Deir
es
Zor,
fortement
déconseillé
du
fait
de
sa
proximité
avec
la
frontiére
irakienne.
Par
contre,
j’ai
pu
mesurer
à
Alep
combien
la
présence
des
Arméniens
était
forte.
Le
quartier
de
Jdeïde
est
le
centre
de
cette
présence
arménienne.
Dans
ce
quartier
figure
l’église
arménienne
apostolique
qui
est
un
haut
lieu
du
souvenir
pour
le
peuple
arménien.
Une
plaque
y
rappelle
le
génoci
-
de
arménien
au
cœur
de
la
cour
de
l'église
dans
laquelle
on
ne
peut
pénétrer
la
gorge
serrée.
Au
pied
des
icônes,
de
petites
silhouettes
humaines
en
papier
et
métal
découpées
sont
posées
que
j'imagine
comme
autant
d’êtres
chers
disparus à qui on adresse des prières.
Dans
les
ruelles
adjacentes,
de
vieilles
et
riches
demeures
abritent
des
institutions
religieuses
et
des
écoles
arméniennes
comme
la
beit
Gha/alé.
J'ai
d'ailleurs
croisé
de
petits
écoliers
en
uniformes
des
pionniers
et
leurs
enseignants
parlant
arménien
à
qui
j’ai
adressé
un
bruyant
«Porev»
provoquant
la
surprise
et
l’hilarité
générale.
J’y
ai
vu
aussi
des
groupes
d'adolescents
de
la
diaspora
arménienne
en
vacances
studieuses,
venant
des
USA
ou
de
France.
Malgré
quelques
enseignes
en
langue
arménien
-
ne,
la
présence
d'une
si
forte
communauté
ne
saute
pas
aux
yeux.
Est-
ce
le
modèle
d’assimilation
à
la
nation
syrienne
qui
en
est
la
cause?
En
tout
cas
je
m’attendais
à
une
marque
plus
évidente
de
la
présence
de
plus
de
l(X)000
Arméniens
dans
une
ville
qui
compte
quasiment
autant
d'Arméniens
que
tout le Liban réuni.
A Lattakieh. j’ai sympathisé avec M. Nazarian qui me conseilla « d’aller dans la montagne » à Kassab.
Ce
fut
une
découverte
pour
moi
que
d'apprendre
l'existence
d'une
population
arménienne
depuis
800
ans
à
la
frontière syro-turque.
Kassab
est
un
lieu
magique
où
la
beauté
du
paysage
rivalise
avec
la
gentillesse
des
habitants.
Les
montagnes
couvertes
de
forêts
viennent
s’y
jeter
dans
la
Méditerra
née.
les
vergers
de
pommiers
et
les
sources
d’eau
pure
semblent
sortis
d'un
mystérieux
Eden,
que
seuls
les
armé
niens
auraient
découvert.
Des
vieillards
sans
âge
atten
-
dent
devant
leurs
portes
avec
à
leurs
pieds
un
cageot
de
pommes,
aspirant
une
bouffée
de
cigarette
ou
savourant
un
café
:
c’est
l’image
émue
que
je
retiens
de
Kassab.
Les
jeunes
habitants
veulent
aujourd'hui
conserver
leur
patrimoine
en
œuvrant
pour
la
création
d’un
petit
musée
de
culture
populaire.
Ils
rassemblent
objets
usuels,
outils
agraires
et
autres
en vue de ce projet.
Devant
la
beauté
déconcertante
de
la
Méditerranée
entre
les
casemates
syriennes
et
turques
distantes
de
quelques
centaines
de
mètres
de
sable
j’ai
eu
à
l’esprit
ces
vers
de
Nazim
Hikmet
:
Les
Lampes
de
l'épicier
Kcirabet
sont
allu
-
mées
Le citoyen arménien n'a jamais pardonné
Que l’on ait égorgé son père
Sur la montagne kurde
Mais il t'aime
Parce que toi non plus tu n 'as pas pardonné
A ceux qui ont marqué de cette tâche noire
Le front du peuple turc.
(*) Erwan Kérivel est responsable de l’Association «Les Amis de la Fondation Culturelle Ghassan Kanafani» qui
promeut des projets cul
turels et éducatifs dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban.
Erwan KERIVEL est l'auteur, aux éditions SIGEST (J. V. Sirapian), d'un ouvrage, paru en 2011, intitulé « La vérité est
dans l'homme, Les Alévis de Turquie ». Cet ouvrage, fruit de
10
ans de recherches, est une description historique, philosophique et sociologique de cette communauté réprimée
par l'Etat turc.
il
prépare un autre ouvrage sur les liens entre Alévis et Arméniens qui vont au delà de la répression turque...
MZA V11.1
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